Les bibliothèques d’archives sont, par besoin et par tradition, des bibliothèques de recherche et patrimoniales, dévouées à la conservation des livres. Avoir tout sous la main, pour le moindre besoin, à tout moment, pour un public en salle de lecture mais aussi pour un public interne, les archivistes, tel est l’usage principal des bibliothèques d’archives (BA).
Les collections de ces bibliothèques se sont constituées autour d’un axe : le fonds local, des fonds locaux. Et c’est bien ainsi qu’est organisé le magasin 12 de la bibliothèque des Archives de Marseille.
OUI MAIS :
– combien de livres non vus, non lus ?
– pourquoi, malgré le travail de valorisation de la bibliothécaire, toujours cette phrase du public : « Ah bon, il y a une bibliothèque aux Archives ? ».
J’en ai toujours été personnellement convaincue, le prêt peut servir deux objectifs : rendre un service aux lecteurs et faire connaître la bibliothèque.
En quoi consiste le service du prêt à domicile ?
Le prêt à domicile est un service généralement rendu dans les bibliothèques de lecture publique. Il consiste à laisser les publics emprunter des livres à domicile, gratuitement (ou pas selon les institutions), pendant un temps donné, puis le lecteur rend le livre.
Quelques bibliothèques d’archives ont adopté ce service, en l’adaptant. A la bibliothèque de Marseille, la première étape du projet de mise en place a été une réflexion sur :
les peurs : que les livres ne soient pas rendus, qu’ils soient rendus en retard, qu’ils soient rendus en mauvais état, qu’ils soient volés en salle de lecture avant même que d’être prêtés, etc !
les difficultés : la logistique du prêt en est une puisque l’opération doit être enregistrée sur le logiciel : au mieux celui de la bibliothèque, ou, au pire, celui des archives. Comment choisir entre les deux logiciels ? Préparer les livres : les équiper d’RFID ou de code-barres pour lutter contre le vol, couvrir les livres pour les protéger les livres…
la sélection des livres pour le prêt : quels titres ? À partir de quelle date d’édition ? Les nouveautés seulement ?
les coûts ? Quels livres prêtons-nous ? Les exemplaires de la conservation ? Le service a-t-il les moyens de commander de nouveaux exemplaires, ce qui serait la situation idéale…
le projet consiste à organiser la possibilité de prêter des livres mais sa mise en place peut aussi entraîner d’autres opérations : le (re)traitement des documents provoque souvent des opérations de nettoyage du catalogue. Organiser la présentation des livres dédiés au prêt entraîne la relocalisation des livres, l’espace peut nécessiter un aménagement ou un réaménagement, il faut aussi communiquer autour de ce nouveau service. Une autre opération est la préparation au changement pour le public interne, c’est-à-dire les archivistes. Et ça, ce n’est pas la plus mince affaire… !
Le prêt à la bibliothèque des Archives de Marseille : une action du Projet culturel scientifique éducatif.
En amont, voici la situation : on parle occasionnellement de l’adoption de ce service car on a entendu parler de l’expérience du Var, mais on ne concrétise pas encore, à cause de tout ce qui a été cité plus haut.
En 2020, un changement de direction adjointe a lieu : le nouveau directeur adjoint vient des AD du Var, un des premiers centre d’archives à proposer le prêt de ses livres au public et est donc favorable à l’ouverture de ce service à Marseille.
Et en 2022, un nouveau directeur prend ses fonctions : le prêt est inscrit dans le projet de service
De quel(s) postulat(s) part-on ?
une bibliothèque de 35000 références : un fonds local, un fonds professionnel, des catalogues d’expositions, des brochures, des périodiques morts et vivants, des petits fonds privés, de la presse quotidienne régionale.
des « usuels » (aaarght ! ce mot…) en salle de lecture : des dictionnaires de langue, des dictionnaires d’histoire, les publications des Archives de Marseille, de l’histoire locale c’est-à-dire des grands classiques, des doubles des justificatifs à parution, quelques titres best-sellers commandés en double quand le budget le permet. Tout ceci en quasi vrac, non cotés, dans du mobilier inadapté, sans signalétique, bref un fonds en piteux état et ignoré du public sauf de quelques chercheurs habitués qui y retrouvent « leur » livre.
autre offre en salle de lecture : l’Indicateur marseillais, la collection d’un annuaire local ; la collection de la revue Marseille, la revue municipale ; une sélection de périodiques vivants, thématiques histoire, généalogie avec de l’antériorité dans des casiers.
un catalogue informatisé avec du bazar : doublons ou plus, erreur d’exemplarisation, etc.
l’équipe : une bibliothécaire, transfuge de la lecture publique, une agente d’accueil formée par la bibliothécaire et depuis quelques années à temps partiel sur les tâches de la bibliothèque, un magasinier rattaché à la salle de lecture passionné par la presse. Et les autres membres de l’équipe des Archives de Marseille, souvent empreints de sentiments ambigus et partagés pour les collections d’imprimés (!).
Dans le cadre du projet de service, le directeur autorise la bibliothécaire à former un groupe de travail avec les personnes de son choix pour la mise en place du prêt, voire « un peu plus d’aide, si besoin » : ceci ne tombera évidemment pas dans l’oreille d’une sourde !
« lancer l’expression de besoins sur le réaménagement de la salle de lecture, en développant les fonctionnalités de tiers-lieu et les ressources numériques ».
Les publics
En interne, les archivistes qui utilisent parfois la bibliothèque à une étape de leur traitement de fonds.
Et en externe, on retrouvera les chercheurs, les généalogistes, le public occasionnel à la recherche d’un permis de construire ou d’un acte d’état civil, les visiteurs des expositions.
Mais qui veut-on vraiment servir ? On va un peu vers l’inconnu là… On se dit que l’idéal serait évidemment que tout le monde s’y retrouve… que l’on ne déçoive pas les publics déjà acquis et que l’on arrive, rêvons un peu, à faire venir de nouveaux publics, voire des publics plus jeunes ?
La formulation du projet de service donne le ton : « lancer l’expression de besoins sur le réaménagement de la salle de lecture, en développant les fonctionnalités de tiers-lieu et les ressources numériques ».
Redonner une dynamique en utilisant les concepts des tiers lieux passe par un réaménagement et par un changement de l’ambiance de la salle : casser le côté un peu solennel et traditionnel des salles de lecture de centre d’archives, donner un ton plus contemporain, moins guindé. En bref, l’idée est de faire vivre un lieu d’étude mais aussi un lieu propice à la détente.
La réalisation du projet.
Les décisions prises conjointement avec la Direction et la Direction adjointe porteront sur :
le choix du logiciel de prêt : les contraintes, l’aide du service informatique de la bibliothèque de l’Alcazar ;
les procédures de prêt et la politique de circulation des documents ;
le réaménagement de la salle de lecture, dans laquelle sont aussi présentés en libre accès les classeurs des inventaires des séries d’archives.
La date d’ouverture du service est fixée au 4 novembre 2024 avec le directeur adjoint. Cette date est indispensable pour établir un calendrier et anticiper les actions de communication.
La bibliothécaire rédige le plan de travail, dresse une répartition des tâches pour chaque membre de la petite équipe et établit le calendrier
En janvier 2024, une première réunion avec le groupe de travail a lieu. Une aide archiviste, passionnée par les livres et qui a travaillé en librairie au début de sa carrière, rejoint le groupe : elle apportera une aide ponctuelle mais apprécié pour l’équipement des ouvrages.
En quoi consiste la répartition des tâches ?
La bibliothécaire est responsable de la sélection des titres et plus particulièrement leur année d’édition : on décide de miser sur des titres assez récents édités postérieurement à 2015, sauf exceptions. On fait des filtres à partir du fichier Excel de l’inventaire général des acquisitions et petit à petit, la sélection se forme et s’enrichit au fil des années qui : 2015, 2016, 2017, etc. Comme le budget n’est pas suffisant pour commander les nouveautés en deux exemplaires, on décide de se servir dans les collections conservées en magasin. Ceci fera d’ailleurs le désarroi de quelques archivistes…
La 2e sélection porte sur le genre des ouvrages : on pioche avec une joie retrouvée dans le fonds local, tous thèmes et formats confondus, le fonds professionnel, la généalogie, le fonds Jeunesse, les romans marseillais et archivistiques, les bandes dessinées. Un fichier « Sélection » est ainsi constitué. A chaque fois que la bibliothécaire a fini de sélectionner les titres acquis pendant une année, le magasinier va chercher les livres dans le magasin de conservation et pose un fantôme à leur emplacement. Ces documents seront pour la plupart filmoluxés et équipés d’une nouvelle étiquette qui comporte : le logo des archives, la cote, le thème du livre.
Exemple d’étiquette
Détail étiquette
Quels sont les thèmes de rangement ?
Dans le passé, un rangement thématique avait été testé afin de mieux présenter les usuels de la salle de lecture. Ces thèmes reprenaient très simplement les sujets favoris des lecteurs, c’est-à-dire les axes de leurs recherches sur Marseille : l’urbanisme, l’histoire des rues, le port, certaines personnalités, etc. Le mobilier n’étant pas adapté et la signalétique inexistante, les livres n’étaient jamais rangés et donc… introuvables. Néanmoins, les thèmes étaient assez représentatifs et ils seront en partie repris, retravaillés et augmentés. On arrivera à une trentaine de thèmes, un nombre qui sera déterminant pour le rangement des livres sur les futures étagères des bibliothèques de la salle de lecture. Une colonne, consacrée au thème, est ajoutée au fichier d’inventaire. Le thème est reporté en haut de la page de titre et sur l’étiquette de prêt, elle-même apposée sur la première de couverture du livre.
La phrase de Roald Dahl « Always be ready for the unexpected[1] » ne s’est jamais révélée aussi juste !
Quel réaménagement pour la salle de lecture ?
L’idée d’un réaménagement, associé à de vrais changements et donc de travaux, est revue avec la Direction : par manque de budget et de moyens techniques, le service du bâtiment de la Ville étant mobilisée par la restauration et l’entretien des écoles primaires, le recyclage des espaces et du mobilier est encouragé. Grosse déception mais tant pis, il faut s’adapter ! On décide alors de déplacer les classeurs des inventaires de séries d’archives, actuellement rangés dans des mobiliers bibliothèques, qui ressemblent trait pour trait aux « Billy » de chez Ikea (!). On récupère aussi les mêmes Billy où étaient hébergés les usuels pour atteindre le nombre d’étagères désirées, et héberger les (environ) 1000 livres sélectionnés. Les mobiliers ne sont pas déplacés puisqu’ils sont déjà positionnés autour d’une structure ronde en salle de lecture, créant ainsi une sorte de déambulation…
Les déambulations
Un appel aux bonnes volontés est fait début septembre 2024 pour accélérer la mise en œuvre et que le travail physique ne repose pas toujours les mêmes personnes. Au final on est très nombreux, tous les classeurs sont déplacés en deux séances de deux heures dans le calme et la bonne humeur ! On récupère aussi 4 petits meubles qui avaient été conçus par les scénographes pour présenter des livres pour enfants lors du parcours de l’exposition Champion ! Une histoire du sport à Marseille : ils serviront à présenter le fonds Jeunesse. On redonne par ailleurs vie et usage à un bac à BD, qui, pour une raison que j’ai toujours ignorée, errait au fonds de la salle depuis des années… Un petit budget peut être consacrée en interne à l’achat de quelques fauteuils, poufs et guéridons.
Nouveau mobilier
Archives municipales de Marseille
De septembre à début novembre, on installe les livres sur les étagères et, bonne surprise, l’effet est plutôt heureux. Grâce au rangement thématique, le nouvel espace ressemble presque à une bibliothèque ! La salle de lecture et son nouvel espace livre ne seront pas tout à fait un tiers lieu mais ce petit mobilier participe à gagner le pari de « changer l’ambiance » : d’un petit fonds d’usuels défraîchis et démodés, on passe à une présentation thématique claire et organisée, essentiellement constituée de nouveautés. La phrase de Roald Dahl « Always be ready for the unexpected[1] » ne s’est jamais révélée aussi juste !
Exemple de cube
Quelle procédure pour le prêt ? Concomitamment à la sélection, à leur nouvel équipement et à l’aménagement d’un nouvel espace pour ces livres, la réflexion sur l’organisation du prêt se poursuit. On résout les problèmes les uns après les autres, le temps et l’infusion des idées permettent des prises de décision presque sereines. Franchement, à me lire, c’est le paradis aux Archives de Marseille ! Quel logiciel ? Entre le SIGB et le SIA mon cœur va balancer un certain temps. J’ai toujours entendu dire qu’il fallait fuir les modules de prêt des SIA et avait donc écarté cette solution dès le début ; tout en sachant que l’usage du module prêt du SIGB Portfolio ne vas pas être toujours facile pour notre bibliothèque d’archives qui n’est pas équipée comme une bibliothèque de lecture publique. A la base, il induit : – que les lecteurs soient inscrits sur le réseau des bibliothèques de Marseille. Leur abonnement génère une carte de lecteur relié au module de prêt : les transactions de prêt, de retard et de retour s’affichent automatiquement, ce qui est, il faut bien l’avouer, bien pratique pour une bonne gestion des flux et des livres, voire indispensable si les flux sont importants. Pour réaliser cette inscription, il est nécessaire de posséder une platine de lecture des cartes, le temps d’inscription peut prendre entre 10 et 20 minutes. Or, le public des archives n’est pas toujours inscrit à la bibliothèque… – que les livres soient équipés du puce RFIDs, ce qui n’est pas le cas des documents de la bibliothèque des Archives de Marseille. La pose de ces étiquette risque d’être une opération très chronophage. Mais en 2022, lors d’une formation au module de « communication » de Ligeo, le nouveau SIA des Archives de Marseille, je découvre le module de « prêt externe ». Il me paraît pouvoir tout à fait s’adapter au transaction de prêt que nous imaginons réaliser : des flux et une rotation des documents raisonnable et un terrain connu pour les archivistes, qui géreront à tour de rôle les prêts lors de l’accueil du public. Ceci présente plusieurs avantages :
les lecteurs pourront emprunter avec leur carte de lecteur « archives » ;
– il ne sera pas nécessaire d’équiper les livres de puces RFID ;
– il ne sera pas nécessaire de former les collègues archivistes au module de prêt du SIGB Portfolio.
« Trois livres pour trois semaines »
Les dernières étapes
A la rentrée 2024, les sous-localisations, catégories des livres et état de disponibilité des livres sélectionnés pour le prêt sont changés en bloc grâce à l’aide précieuse d’un technicien. On a le plaisir de maintenant voir apparaître au catalogue des livres de la bibliothèque des Archives en état « disponible » pour le prêt ! Ces changements sont sciemment effectués très peu de temps avant l’ouverture du service, pour ne pas donner de fausses informations aux lecteurs qui consulteraient le catalogue en ligne. Comme mentionné plus haut, proposer un nouveau service peut susciter d’autres opérations. A la bibliothèque des Archives de Marseille, on n’y aura pas échappé et ce, pour la bonne cause. Le module de prêt externe de Ligéo ayant été adopté pour effectuer les transactions, il est nécessaire d’intégrer la sélection de livres dans la base de donnée pour pouvoir les communiquer. Et pourquoi ne pas y intégrer les autres titres conservés dans le magasin ?! Tous les livres seraient ainsi communicables de la même manière, que ce soit pour le prêt ou pour la consultation sur place. Ceci sous-entend bien sûr que les notices bibliographiques soient propres… L’archiviste responsable de la gestion du SIA (qui est aussi, ce n’est pas innocent, une lectrice assidue et une amoureuse des livres…) va s’atteler, de sa propre initiative et après une petite formation par la bibliothécaire, à un sérieux nettoyage : elle supprimera les doublons et triplons, corrigera les erreurs d’exemplarisations et enrichira les notices parfois un peu « justes ». Un travail de longue haleine… Un mode opératoire du prêt est rédigé, à l’attention des lecteurs. Il est corrigé – plusieurs fois – et finalement adopté. « Trois livres pour trois semaines » deviendra le slogan !1 Les prolongations sont autorisées. La réservation de document, proposée par la bibliothèque de l’Alcazar, n’est pas un service retenu car on préfère d’abord tester les transactions. Ce petit document, très court, très simple, sera montré au lecteur par le personnel d’accueil au moment de son inscription au public et affiché près du nouvel Espace-livres.
Intégrer de nouvelles pratiques ? Et un nouvel esprit des lieux… Le prêt à domicile est un nouveau service qui ne remporte pas forcément tous les suffrages des collègues archivistes. Une réunion d’information et de formation à la pratique des nouvelles transactions était donc nécessaire et eut lieu après le réaménagement de la salle. Une procédure est formalisée et communiquée à tous les présidents de salle qui ont aussi pour mission de présenter le service aux lecteurs. Pendant cette réunion, l’adhésion n’est pas unanime mais je garde espoir qu’à la vue du nouvel Espace-livres et surtout de l’enthousiasme des lecteurs (…!), la balance penche en faveur du prêt à domicile. Il est tellement plus agréable quand nous dans la même direction… Un flyer est réalisé par le Service Communication de la Ville de Marseille2.
9 mois après ! Le service du prêt débute le 04 novembre comme prévu. Et dans la semaine, plus de 10 transactions de prêt sont réalisées ! Au fil des jours, des semaines et des mois, les prêts se succèdent et… les lecteurs sont ravis !
Extrait du Livre d’Or des Archives municipales de Marseille
Si l’on note quelques (parfois grands) retards à rendre les livres – un défaut de lecteur que les bibliothécaires connaissent bien et avec lequel j’avoue une certaine faiblesse…- , aucun livre n’a disparu, un seul livre a été abîmé et aujourd’hui, on peut se targuer de 150 prêts !
Annie Prunet, Bibliothécaire, Archives de Marseille et Cabinet des monnaies et médailles de Marseille
[1]En gros : « Soyons toujours prêt pour l’inattendu ! »
Une nouvelle exposition virtuelle des Archives territoriales de Martinique Profondément ancré dans l’histoire et la culture de la Martinique, le carnaval est […]